Article écrit par Guidara Ahmed, Directeur Financier de la Commune de Sfax, Expert en Gouvernance locale et approches participatives.

Le Budget Participatif est défini souvent comme « un processus de démocratie directe à travers lequel les citoyens décident de manière souveraine et indépendante, avec l’accord de la commune, sur une partie du budget et des dépenses de leur commune ». Il améliore la relation entre citoyens et commune et contribue à construire un rapport de confiance entre eux. Les travaux exécutés à travers le Budget Participatif répondent directement aux besoins prioritaires des citoyens et améliorent l’infrastructure et les équipements d’une commune. Le Budget Participatif améliore ainsi la gouvernance locale car il réforme la gestion des finances locales et instaure une démocratie locale par la participation citoyenne aux décisions budgétaires.

Les communes tunisiennes sont habituées à décider sur le budget communal derrière des portes fermées. Quant aux citoyens, ils ne s’intéressaient guère aux affaires de la commune et n’y participaient plus, négligeant par la même occasion de payer leurs impôts locaux en motivant généralement son incivisme fiscal par le manque de transparence dans la gestion financière de la commune et par la médiocrité des prestations fournies localement. La démocratie représentative atteint ses limites et les citoyens ont les sentiments que les conseillers élus sont déconnectés de la réalité vécue et que l’intérêt général est rarement respecté. Le Budget Participatif aide à surmonter ces difficultés par un apprentissage de l’intérêt général au profit de la commune et des citoyens.

Les débats publics et la représentation politique démocratique trouvent ainsi leur sens réel. La commune qui s’engage volontairement pour un Budget Participatif, met en œuvre les principes de l’équité, la redevabilité, la transparence, la durabilité, l’efficacité et l’engagement civique.

L’expérience de budgétisation participative consiste essentiellement au lancement d’une campagne de communication et sensibilisation sur le concept avant  l’organisation des réunions dans les zones d’habitation appelées « forum des zones d’habitation » où les citoyens auront l’occasion de discuter entre eux et de décider des projets qu’ils jugent répondant à leurs besoins et attentes. Ils auront par la même, l’occasion d’élire des délégués qui parleront en leurs noms et qui feront le suivi des autres phases relatives à la concrétisation des projets choisis lors d’une réunion de synthèse appelée « forum de délégué » dans la limite de l’enveloppe budgétaire réservée au préalable par la commune. 

Je vais essayer dans cet article de vous parler de l’expérience pratique de budgétisation participative de la commune de Sfax qui a commencé en 2015.

Pour cela, je vais consacrer une première partie pour parler des phases préliminaires des fora des zones d’habitation essentiellement celles relatives à la préparation réglementaire et organisationnelle et à la campagne de sensibilisation et de communication qui représente une phase importante qui conditionne généralement la réussite de tout le processus surtout en terme de taux de participation citoyenne.

Au niveau de la deuxième partie, je vais exposer le déroulement des fora en décrivant toutes les étapes et en faisant une interprétation des statistiques issues des rapports établis dans tous les foras citoyens. Ces rapports élaborés par les facilitateurs locaux ont permis de constituer une base de données sur les citoyens présents (sexe, âge, adresse). L’exploration de cette base de données permet d’analyser cette première expérience et d’avoir une idée réelle de l’état de la participation citoyenne dans la ville de Sfax.

      I.            Les phases préliminaires des fora des zones d’habitation  

Dans le cadre des nouvelles orientations en matière de décentralisation et en cohérence avec les dispositions du chapitre 7 de la nouvelle constitution tunisienne de 2014 et plus précisément l’article 139 que stipule  que « Les collectivités locales adoptent les mécanismes de la démocratie participative et les principes de la démocratie ouverte afin de garantir la plus large participation des citoyens et de la société civile à la préparation des projets de développement et d’aménagement du territoire et le suivi de leur exécution, conformément à la loi »la commune de Sfax s’est engagée pour  l’année 2015 dans une expérience de budgétisation participative pour inclure les projets choisis par les citoyens dans le projet du budget de 2016 qui été voté lors de la 3ème session ordinaire du conseil municipal qui a eu lieu le 28 juillet 2015 en séance plénière. 

Avec l’appui de la GIZ et en partenariat avec les associations de la société civile, le conseil municipal a exprimé son fort engagement politique pour entamer cette expérience considérée comme une préparation à l’application de l’approche participative instaurée par le chapitre 7 de la nouvelle constitution tunisienne, suspendu pour le moment jusqu’à la promulgation des textes d’application y afférents.

  1. Préparation et cadre réglementaire 

Lors de sa première session ordinaire de 2015 tenue le 25/02/2015, le conseil municipal a approuvé la décision d’affectation d’une enveloppe budgétaire de 3 millions de dinars du budget d’investissement dans les rubriques de la voirie, l’éclairage public et la construction de trottoirs et leur pavage. Pour rendre officielle cette décision, le président de la délégation spéciale de la commune de Sfax a promulgué un arrêté dans ce sens.

Par la suite, la commune a lancé à travers un communiqué de presse un appel à  manifestation d’intérêt aux associations actives dans le territoire communal pour l’adhésion au processus.

En réponse à l’appel à manifestation, plus que 40 associations ont répondu. Pour rendre solennel l’accord de partenariat conclu entre la commune et ces associations, une convention dont les articles ont été négociés entre les parties contractantes a été signée. La convention permet de déterminer d’une part le rôle de la commune et d’autre part le rôle des associations. Une réunion animée par un médiateur professionnel s’est tenue afin de négocier les termes de la convention le 15 mars 2015.

La convention fixe les règles d’application régissant la mise en œuvre du budget participatif. Ces règles concernent essentiellement :

  1. Le rôle des autorités locales, des associations et des facilitateurs locaux dans les  fora des zones d’habitation.
  2. Les principes de désignation des délégués des zones d’habitation.
  3. La répartition des fora citoyen,  les lieux, les dates de réunions, la  durée des fora
  4. Le forum de délégué : rôles des différents intervenants.

Les fora de des zones d’habitation sont animés par des facilitateurs locaux proposés par les associations signataires des conventions à titre de bénévolat. Une session de formation de trois jours est organisée au profit de ces facilitateurs pour les doter des connaissances nécessaires à la facilitation des réunions en termes de principes généraux du budget local, gestion de conflits et techniques de communication.

Pour respecter la méthodologie du budget participatif, la commune a procédé au découpage du territoire communal en zones d’habitation qui fera chacune l’objet d’un forum citoyen pendant 2 jours (une première  journée pour l’exposition des finances et de l’investissement local  et une deuxième pour la proposition des projets) nécessairement à la fin de la semaine c’est à dire durant les samedis et les dimanches.

Le découpage en zones d’habitation s’est inspiré du découpage administratif de la commune en 7 arrondissements en divisant en deux les arrondissements de forte densité démographique  (3 arrondissements de plus de 50 milles habitants). Au total 10 zones d’habitation feront l’objet d’une participation citoyenne pour une enveloppe de 3 millions de dinars dans le secteur de voiries, trottoirs et éclairage public.

Le choix de l’enveloppe budgétaire a été arrêté suivant les bonnes pratiques internationales qui consacrent entre 5 et 15% du budget communal (toutes sections confondues …).Pour cela, la  commune a choisi d’affecter 3 millions de dinars pour le budget participatif qui représente 5% de son budget primitif  de 2015 et 15% du budget d’investissement de la même anné. Le Budget prévisionnel de la commune de Sfax pour l’année 2015 est de 60 millions de dinars (27.5 millions d’euro), la section d’investissement est de l’ordre de 20 millions de dinars.

De même, la commune a fixé un objectif d’organiser les réunions du forum citoyen dans des emplacements situés dans un rayon de 5 km, des lieux de résidence des citoyens dans le but de garantir la participation des différentes catégories de la population et spécialement des groupes marginalisés comme les femmes, les personnes âgées et les handicapés qui trouvent une difficulté à assister à des réunions qui demandent un déplacement pour une distance assez longue. De même, la commune a opté pour des lieux de réunion accessibles pour les personnes à mobilité réduite afin de garantir leur participation et ce en consécration des principes de non exclusion du budget participatif. Aussi, tenant compte des besoins des sourds, la commune, et en partenariat avec une association spécialisée dans le domaine, a fourni un spécialiste du langage des signes  qui fait la traduction des différents exposés qui concernent les finances locales et les investissements locaux.

Il est à remarquer qu’une autre association spécialisée dans la défense des intérêts des handicapés a organisé un exposé de la loi relative à l’obligation de tenir compte des besoins des handicapés dans les projets de construction de routes (La loi d’orientations de 2005 relative à la promotion et à la protection des personnes handicapées).

  1. La campagne de sensibilisation et de communication

La communication et la sensibilisation est la phase la plus importante qui conditionne la réussite même de l’expérience du BP. Ainsi, une forte corrélation positive existe entre l’efficacité de la campagne de communication et de sensibilisation et le taux de participation au fora citoyens, selon les expériences internationales recensées dans l’étude faite par UN-Habitat en 2005 intitulée  « 72 questions courantes sur le budget participatif ».

Bien évidement, une bonne campagne de communication et sensibilisation se traduit généralement par une participation respectable dans les fora des zones d’habitation. En tenant compte de cette hypothèse prouvée par les expériences étrangères en la matière, la commune de Sfax, moyennant un financement de la GIZ à travers l’ONG tunisienne Action Associative, a consacré un budget relativement important pour la communication et la sensibilisation.

Pour concrétiser cette conviction, une stratégie de communication a été élaborée par un expert international en communication dans le cadre de l’assistance technique du bailleur de fond. La stratégie de communication recommande l’usage de tous les canaux de communication possibles.

A ce titre, la commune a prévu l’utilisation de douze canaux de communication  comme suit:

  • La distribution de 100.000 tracts (voir photo n° 1) en faisant du porte à porte et la distribution dans les places publiques à forte fréquentation (hypermarchés, marchés journaliers, complexes commerciaux).
  • La distribution de tracts dans les boîtes aux lettres.
  • L’affichage de 30 banderoles dans des zones de forte fréquentation (voir photo n° 2).
  • La diffusion de spots dans la radio étatique locale et une radio privée  (Express FM) de forte audiométrie dans la région de Sfax.
  • L’installation de 3 stands avec des facilitateurs dans les zones de forte fréquentation durant 3 jours avant la date de tenue du fora.
  • Le collage des affiches dans les zones sensibles et de forte fréquentation.
  • Une voiture avec haut parleurs circule 2 fois par jour pendant les 3 jours qui précédent le forum citoyen. Cette voiture entre dans les ruelles et les impasses.
  • Publication dans la presse écrite
  • L’utilisation des réseaux sociaux pour communiquer sur l’événement.
  • L’envoi par mailing
  • La communication directe avec les autorités locales dans les arrondissements et dans l’hôtel de ville.
  • La communication directe avec les associations 

Photo 1: Tract distribué dans le cadre du Budget Participatif       Photo 2: Banderole affichée dans le cadre du Budget Participatif 

Photo 1

 

 

 

 

 

 

 

 

Après chaque forum, les facilitateurs font une réunion pour évaluer les efforts déployés lors de la période de communication correspondante et ce pour apporter les corrections nécessaires en cas de besoin.

L’objectif de la commune est de toucher l’ensemble de la population par cette campagne en usant de tous les canaux de communication possibles. La commune  afixé un objectif de cibler  au moins 100 milles habitants de la commune de Sfax qui comporte 300 milles habitants.

La commune a essayé de mesurer l’effet des différents canaux de communication utilisés dans sa campagne de sensibilisation. Pour cela, elle a organisé un sondage  d’opinion sur un échantillon de 100 personnes de l’ensemble des participants aux différents fora à  raison  de 10 personnes choisies au hasard par forum. Le sondage consiste à poser à chaque citoyen  interviewé la  question suivante «  à travers quel(s) canal/ canaux de communication avez vous  entendu du budget participatif de la commune de Sfax ? 

Le sondage est fait lors de la première journée de chaque forum et non durant la deuxième journée et ce afin de neutraliser l’effet de mobilisation des citoyens par leurs homologues présents durant la première journée. Ainsi les résultats de l’exploitation du sondage ont montré que les cinq premiers moyens de communication utilisés étaient en ordre décroissant la voiture haut parleur (23.3%), les tracts distribués (20.8%), les affiches (20%), les spots dans les radios (15%) et enfin les contacts directs avec les associations (14.2%).  Il est à remarquer que dans 3 zones d’habitation, les spots radio ont été le canal le plus performant pour la sensibilisation des citoyens (Médina, Cité Habib 2, Rabat). De même, la voiture avec haut parleur et les tracts distribués ont été chacun dans deux zones d’habitation le canal le plus utilisé.

Le nombre maximal de canaux de communication utilisés dans toutes les zones d’habitation n’a guère dépassé 7 parmi les 12 utilisés par la commune durant sa campagne. Ce chiffre est enregistré dans 4 zones d’habitation. Le canal du contact direct avec les associations était le canal le plus cité dans les différentes zones.

A ce titre, ce canal est présent dans 9 zones d’habitation parmi les 10 prévues. Les spots radio, les banderoles, les affiches et les tracts distribués étaient présents ou cités dans 8 zones d’habitation.

      II.            Le déroulement des fora dans les zones d’habitatioN

  1. La Description des fora des zones d’habitation

Le forum citoyen dure 2 jours, le premier jour qui se tient le samedi est consacré à la présentation des finances locales et des réalisations d’investissement dans les domaines relatifs à la voirie, trottoirs et éclairage public. Le but de cette réunion est d’instaurer une culture de transparence et de redevabilité chez les responsables des autorités locales et de restituer la confiance perdue entre le citoyen et son administration locale. Le faible taux de présence des citoyens dans les différentes réunions de la commune ainsi que l’incivisme fiscal remarquable  prouvent ce constat.

Durant cette journée, des affiches en couleur illustrant un budget citoyen élaborées  par des experts ont été exposés. Ces affiches présentent des agrégats relatifs à la gestion financière de la commune, essentiellement la structure des recettes et des dépenses, l’évolution de ces agrégats depuis 2012, l’évolution des principales ressources et dépenses ainsi que des ratios de structures relatifs à l’endettement, à l’effort d’investissement et à la marge de manœuvre de la commune en matière de dépenses.

Le langage utilisé dans les fora est très simple et les présentations power point étaient animées essentiellement par des histogrammes et des camemberts. L’objectif était de simplifier les concepts relatifs à la finance locale et à l’investissement. La commune a produit aussi une séquence vidéo pour le même objectif. La vidéo, faite en dialecte  tunisien pour simplifier le maximum les concepts relatifs à la gestion communale, énumère les compétences municipales, les ressources, les dépenses et les modalités de participation citoyenne à la gestion des affaires locales.

Durant la deuxième journée du forum citoyen, la contribution du citoyen devient plus manifeste. Afin que la parole ne soit pas monopolisée par les orateurs les plus habiles ou les personnes les mieux dotées en capital culturel, la commune a fait appel à un professionnel neutre pour animer les débats et distribuer la parole durant cette journée.

Assemblés en groupes de 10 à 15 personnes, les citoyens discutent  ensemble pour proposer des projets (en précisant leurs emplacements et leurs compositions techniques sommaires). Les membres de chaque groupe de travail se concertent par la suite pour proposer 3 idées qui seront retenues comme étant leur contribution aux propositions totales du forum. Ces propositions feront l’objet de vote par les participants. Le groupe désigne un de ses membres pour présenter les idées de projets au public en indiquant ses critères de choix.

Après le recueil de toutes les propositions de projets des différents groupes, les propositions seront numérotées et affichées devant le public qui fait la queue pour commencer le vote. Il est à remarquer que les idées de projets qui n’entrent pas dans les rubriques déterminées par la commune dès le début du processus seront écartées et ne feront pas l’objet de vote. Durant chaque forum, il est demandé aux participants de postuler pour être délégué de quartier et par conséquent mandaté par les citoyens pour défendre leurs intérêts. Après consultation des participants, et dans l’objectif de préserver la neutralité du processus de toute interférence politique, les candidats désirant devenir délégué de quartier et qui seront connus par les participants comme membres actifs d’un parti politique (les simples adhérents ne sont pas concernés par cette interdiction) ne sont pas acceptés. Aussi, les délégués de zones d’habitation doivent être obligatoirement un homme, une femme et un jeune (dont l’âge varie entre 18 et 35 ans) pour permettre d’avoir une représentation de toutes les catégories de la société parmi les délégués de chaque zone d’habitation.

Les délégués élus doivent assister aux réunions relatives à un forum de délégués pour contribuer à la priorisation des projets et la retenue des idées qui seront prises dans le cadre du budget participatif. Les délégués de zones d’habitation doivent aussi  assister aux réunions de préparation des procédures de passation de la commande publique et d’exécution des projets choisis.

Il est même envisagé de permettre aux délégués d’assister aux réunions de la commission des marchés puis que la réglementation actuelle des marchés publics autorise la présence des délégués et de la société civile dans la commission des marchés, et d’avoir des badges pour accéder même aux chantiers d’exécution des travaux.

Dans le but d’optimiser l’élection, les participants ont eu la possibilité d’élargir leurs choix à 4 projets sans faire un ordre de priorité. L’adoption de choix multiple dans le vote des idées de projets permet d’augmenter la marge de manœuvre des électeurs.  Cette méthode a été déjà expérimentée dans le même cadre dans des communes tchèques en 2013.  A la fin de chaque fora, les participants votent 3 projets et 3 délégués.

Parmi les délégués qui ont eu la confiance de leurs citoyens, on peut citer le choix d’une déléguée à mobilité réduite durant le forum de la zone d’habitation Markez Chaker 2. Ce choix est une preuve du caractère inclusif de note approche ainsi que de la solidarité de notre société (Voir photo n° 3).

Photo 3: Les trois délégués de la zone d’habitation Markez Chaker 2

Les délégués de quartier sont tenus de faire un compte rendu des réunions auxquelles ils assistent à leurs citoyens afin d’instaurer une culture de redevabilité. Pour veiller à la transparence des élections, le processus d’élection est observé et contrôlé par l’Association Tunisienne pour l’Intégrité et la Démocratie des Elections ATIDE, qui a aussi observé les élections législatives et présidentielles de 2014 et qui a attesté que les principes des élections démocratiques sont respectés.

  1. Interprétation des résultats

La participation citoyenne durant le premier jour des fora citoyens était très satisfaisante puisque les taux de participation enregistrés ont dépassé largement ceux réalisés dans les autres communes tunisiennes qui ont commencé le processus en 2014. Le nombre de participants durant la deuxième journée dans tous les foras est plus important que celui de la première journée réservée pour l’exposé des finances locales et des projets d’investissement communaux.

La progression enregistrée du nombre de participants entre les 2 journées est expliquée par l’intensification de l’effort de communication durant la matinée du dimanche et aussi grâce à l’effet positif de la communication de bouche à oreille et même de mobilisation des citoyens présents lors de la première journée dans leurs quartiers.

Au total presque 2000 citoyens ont assisté aux fora citoyen, ce qui présente un taux de participation très satisfaisant pour une ville durant son premier exercice de budget participatif. La deuxième journée a enregistré la participation de presque 70 % des citoyens présents dans les fora à l’encontre de 30 % durant la première journée.

24.53% des participants étaient des jeunes (entre 18 et 35 ans). 26.77 % des participants étaient des femmes et 73.23 % des hommes. Dans les zones  d’habitation Cité Habib 2 et la Médina, la participation des femmes était la plus élevée de tous les fora avec respectivement 42.38% et 36.36%,  sachant que les habitants de la commune de Sfax sont constitués  par 49.84 % des femmes, selon le recensement général de la population de 2014.

Ce taux de participation est considéré comme étant satisfaisant par rapport au taux de participation de la femme au niveau de l’enregistrement dans les listes électorales des dernières élections législatives de 2014, selon les résultats de l’instance supérieure indépendante des élections, et à la participation à la gestion des affaires locales suivant plusieurs études faites dans ce cadre par le ministère chargé de la femme et des centres de recherches spécialisés.

La moyenne arithmétique de l’âge des participants dans tous les fora citoyens est presque de 46 ans, ce qui donne une idée sur la tranche d’âge intéressée par la gestion des affaires communales. De la même manière, la médiane des âges des participants est de l’ordre de 47 ans, ce qui rend significative la valeur de la moyenne. Il faut observer qu’on a enregistré la participation d’un garçon de 8 ans et d’un senior de 90 ans.

Dans le même cadre, il est à signaler qu’en faisant une comparaison entre la moyenne des âges des participants de la première journée avec celle de la deuxième journée  du forum, ce dernier est plus inférieur dans toutes les zones d’habitation. Cette diminution ne peut être expliquée que par l’augmentation des participants jeunes durant la deuxième journée. Ce constat est confirmé par l’augmentation du taux de participation des jeunes à 27 % durant la deuxième journée contre 16 %  seulement durant la première journée. La participation totale est de l’ordre de 24.53%  pendant les deux journées.

Cette présence respectable des femmes et des jeunes en terme de pourcentage dans les fora permet de confirmer le caractère inclusif de l’expérience surtout à travers la participation très remarquée des sourds dans le premier forum de la Médina et surtout à travers l’existence d’un spécialiste en langage des signes en partenariat avec une association spécialisée. On a enregistré la participation de 10 personnes sourdes dans le forum de la Médina 

L’engagement citoyen des différentes catégories de la population sfaxienne dans le processus est manifeste aussi à travers l’analyse du nombre total des candidats au poste de délégué. Durant les différents fora des zones d’habitation, on a enregistré la candidature de  95 citoyens pour 30 postes de délégués toutes catégories confondues, soit disant plus que 3 fois le nombre de postes ouverts. C’est ainsi que le nombre de candidats pour postes de délégués dans les deux catégories jeunes et femmes était presque deux fois et demie le nombre demandé.

A travers un partenariat avec l’ONG internationale “Democracy 2.1” qui nous a fourni une plateforme  informatique, un taux de satisfaction des élections a pu être calculé.

Durant le premier forum de quartier de la Médina, un indice de satisfaction de 74% est enregistré. Cet indice indique le degré de satisfaction des citoyens qui ont participé au vote de leurs choix des projets. Cet indice de satisfaction aurait été 33 % dans le cas d’un choix unique (chaque citoyen ayant seulement un seul choix de projet) et non multiple (chaque citoyen ayant 4 choix de projet sans obligation de faire un ordre de priorité).

A la fin des fora de zones d’habitation, le forum de délégué est organisé le 13/06/2015. Il rassemble les délégués élus durant les dix fora. 

Entre temps, les services techniques de la commune ont procédé à l’évaluation des différentes propositions après l’organisation d’une visite regroupant tous les délégués aux emplacements des différents projets proposés. Un bus avec chauffeur est mis à la disposition des délégués pour faciliter leurs déplacements pour visiter les 30 projets issus des fora (3 projets pour chaque forum). Lors du forum de délégués, les différents participants discutent les critères de choix selon lesquels ils feront la priorisation des projets.

 A la fin du forum de délégués animé par une équipe de facilitateurs professionnels,  25 projets ont été choisis parmi les 30 proposés après avoir fixé des critères de priorité (Voir Photo n° 4). Après un débat très riche et un échange d’avis dans le respect total des principes du dialogue et de la tolérance envers l’autre, les délégués, à eux seuls, se sont concertés sur la liste des projets dans la limite de l’enveloppe budgétaire allouée au budget participatif en utilisant les évaluations financières préparés par les services techniques de la commune mentionnées sur étiquette collé  sur chaque carte de projet. Il est à remarquer que la visite programmée avant la tenue du forum de délégués aux différents sites de projets découlant des 10 foras de zones d’habitation a amené à un consensus sur les priorités à adopter au lieu du vote, concrétisant ainsi la primauté de l’intérêt collectif sur l’intérêt particulier exigu. 

Photo 4: Priorisation des projets durant le forum des délégués

Le coût de tous les projets choisis lors du forum de délégués d’une manière consensuelle (25 projets) est de l’ordre de 3.010.000 dinars répartis comme suit : 2.706.000 dinars pour des projets de voirie et 304.000 dinars pour l’éclairage public. Il faut remarquer que la commune s’est engagée à fournir 10.000 dinars supplémentaires par rapport au mottant alloué au préalable au Budget Participatif (3.000.000). Les projets retenus lors du forum citoyen ont couvert toutes les zones d’habitations avec un minimum de 2 projets par zone. Seulement, dans le forum de la zone Sfax Nord, on ne trouve pas un projet d’éclairage public ; les autres zones ayant toutes une composante éclairage public dans les projets retenus lors du forum délégué.

La commune, quant à elle, a intégré les coûts des 25 projets choisis dans le projet du budget de l’année 2016 qui été voté lors de la troisième session ordinaire du conseil  municipal du mois de juillet 2015 tenue le 28 juillet 2015 avec la présence des délégués des zones d’habitation.

 

Les délégués des zones d’habitation sont invités à assister au conseil municipal et voir concrètement l’intégration des projets issus du budget participatif dans le projet du budget 2016. Cet acte très significatif de la part de la commune permet de restituer la confiance entre les citoyens qui ont participé avec elle dans les différents fora et de passer ainsi à une nouvelle phase relationnelle avec leur commune.

Il s’agit pour les délégués des zones d’habitation, non seulement d’être associés à des réunions administratives traitant des questions budgétaires, mais aussi de prendre effectivement part à la décision, aux différents niveaux de conception et de mise en œuvre des projets. L’expérience internationale a montré que de nombreux délégués, à condition qu’ils aient été suffisamment investis dans le processus, sont devenus plus informés à la suite de leur expérience de participation, acquérant des savoirs techniques, politiques et pratiques qu’ils ne possédaient pas auparavant.

La dynamique crée par cette expérience incite la commune à continuer dans ce projet et de la reproduire l’année prochaine pour une enveloppe plus importante et pour d’autres champ d’interventions. Les citoyens appuyés par la société civile active  peuvent dés maintenant commencer un plaidoyer dans ce sens.

Guidara Ahmed,
Directeur Financier de la Commune de Sfax,
Expert en Gouvernance locale et approches participatives.